7. Pensez que vous que le football va suivre l’exemple du City Football Group, c’est-à-dire qu’un nombre restreint de clubs vont se partager les autres, plus fragiles économiquement ?

Luc Arrondel : Dans le football, la « multipropriété » de clubs (en anglais multi-club ownership-MCO) concerne aussi bien les propriétaires individuels (ou leur famille), les groupes ou les clubs. La MCO est un phénomène plutôt récent qui date de la fin des années 1990 mais qui semble prendre de l’ampleur dans le football globalisé d’aujourd’hui. D’un point de vue sportif, cette pratique pose des problèmes évidents de conflit d’intérêt si deux équipes appartenant au même propriétaire sont amenés à participer et donc à se rencontrer dans une même compétition.

Au niveau national, afin de garantir l’intégrité des compétitions domestiques, les ligues majeures ont mis en place des garanties juridiques sur la MCO. La multipropriété est le plus souvent interdite ou limitée, soit par le biais de règlements fédéraux, soit par le biais de dispositions étatiques : interdiction au Portugal et en France (depuis 1984), limitée à 1% du capital d’un autre club en Espagne, 9,9% au Royaume-Uni, 49,9% en Allemagne ; en Italie, elle est autorisée à condition que  les clubs n’évoluent pas dans la même division. La MCO va donc essentiellement concerner des clubs de nationalité différente. Aujourd’hui selon l’UEFA (2018), la MCO concerne douze propriétaires individuels, cinq groupes et trois clubs. Mais les exemples pour lesquels cette stratégie de MCO semble la plus avancée sont celui de Red Bull et surtout celui de City Football Group.

Une décision de l’UEFA à propos de la galaxie Red Bull a marqué peut-être un tournant pour tous les MCO présents ou à venir, puisqu’elle est susceptible de faire jurisprudence. Lors de la saison 2016-2017, Salzbourg fut sacré champion d’Autriche et Leipzig termina deuxième de Bundesliga : cette situation, que l’UEFA voulait éviter les deux clubs appartenant à Red Bull, étant qualifiés pour la Ligue des champions, a donc été instruite. L’UEFA a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve que Red Bull pouvait exercer une « influence décisive » (« decisive influence ») sur l’une ou l’autre des équipes qui portaient son nom.

Outre les problèmes d’éthique sportive liés à la pratique de MCO que l’UEFA a (pour l’instant) « réglé » avec la « jurisprudence Red Bull », ou encore ceux du respect des règles du fair play financier (Manchester City a été sanctionné en 2020 pour les contrats de sponsoring surévalués), la réussite de cette stratégie économique, si elle se généralise, va vraisemblablement accentuer encore davantage le fossé économique entre les tops clubs et les autres, avec toutes les conséquences que cela pourra avoir en termes de compétitions (le projet d’une super league par exemple). Les propriétaires de certains clubs français l’ont bien compris : Monaco a déjà franchi le pas et le propriétaire de Lille, G. Lopez, semble convaincu par cette stratégie ; tout comme d’ailleurs le PSG. Mais à l’inverse, à l’image du RC Lens satellite de l’Atlético Madrid, il n’est pas impossible que d’autres clubs de l’hexagone deviennent des clubs satellites : le Toulouse FC a failli entrer pour une part dans la galaxie City et l’ASNL est dans le viseur. Une nouvelle scission de la ligue 1 entre clubs acheteurs et clubs achetés pourrait donc apparaître.

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